Travailleuse du sexe transgenre à Maurice, Kyrah veut « résoudre les problèmes de sa communauté »
Kyrah, femme transgenre exerçant le travail du sexe à Port-Louis, République de Maurice. Photo PILS / 2020
A l’occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, les travailleuses du sexe mobilisées pour un meilleur accès à la santé et la défense de leurs droits prennent la parole.
Kyrah, 38 ans, travailleuse du sexe transgenre à l’île Maurice, représente sa communauté au sein de l’instance nationale de coordination du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Elle nous a raconté son histoire et son engagement. Interview.
Comment as-tu commencé à exercer le travail du sexe ?
« Après une rupture, il y a 3 ans et demi, j’étais dans une situation financière compliquée. Il a alors fallu que je me débrouille seule. J’ai donc commencé à exercer le travail du sexe à ce moment-là, car je n’avais pas d’autre solution. Je suis qualifiée et j’ai des compétences, mais les employeurs me jugent sur mon identité et mon genre. C’est un obstacle que nous arrivons difficilement à surmonter. J’ai été un peu poussée vers ce métier : quand vous êtes une femme trans, les hommes vous associent d’emblée au sexe. Comme je suis spa thérapeute, on me demandait souvent des extras et un jour, dans un moment où j’avais besoin d’argent, je me suis laissée convaincre.
Au début, c’était difficile pour moi de l’accepter, c’est toujours un peu le cas. Mais il faut bien vivre et c’est le seul moyen que j’ai trouvé. Je pratique à domicile en toute discrétion et parfois chez les clients. J’établis le contact à travers les réseaux sociaux. Mes clients sont pour la majorité des touristes que je ne risque pas de recroiser. L’inconvénient est qu’ils sont moins nombreux en saison basse… Je ne gagne pas vraiment bien ma vie, ça me permet de payer mes factures, mais pas plus. Je n’arrive pas à économiser. »
Comment prends-tu soin de ta santé ?
« Certains clients n’aiment pas le préservatif et moi non plus. Heureusement, la PrEP [prophylaxie pré-exposition, un traitement anti-VIH utilisé en prévention, Ndlr] est disponible gratuitement à Maurice. Grâce à cela, j’arrive à mieux me protéger. Pour me protéger des infections sexuellement transmissibles, j’utilise le préservatif. Je suis en contact régulier avec l’équipe Rainbow de PILS [équipe de pair éducateurs-rices qui travaille avec la communauté LGBT, Ndlr], auprès de qui je me procure du matériel de prévention.
Comme j’utilise la PrEP, je vais tous les 3 mois au centre de santé pour le suivi et faire un test de dépistage. Si je ne peux pas me déplacer dans un centre de santé, c’est avec l’équipe Rainbow que je fais mon dépistage (VIH, hépatite C et syphilis) lorsqu’ils-elles passent dans mon quartier. Comme tout le monde, j’ai parfois une petite grippe, un mal de ventre, mais je me sens bien et en bonne santé. »
As-tu déjà été confrontée à des violations de tes droits par les forces de l’ordre ?
« Les forces de l’ordre ne nous aiment pas, nous les personnes trans. Il y a quelques années, j’ai été victime de brutalité policière. Avec un groupe de copines trans, nous étions sorties pour aller en une boîte de nuit. Nous voulions juste faire la fête, et non travailler ! Une voiture s’est arrêtée et le conducteur nous a proposé de nous déposer. Malheureusement, c’était un policier en civil… Il nous a embarquées à la station de police, nous a forcées à signer une fausse déclaration écrite par les policiers. Pour finir, ils nous ont obligées à nous déshabiller pour prouver notre identité. Ils étaient si violents que je ne pouvais rien faire. J’ai obtempéré. C’était horrible, j’ai été humiliée et je ne pouvais même pas porter plainte pour brutalité policière. C’était inhumain. »
Tu as dit que tu avais été « poussée vers le travail du sexe » en raison des discriminations à l’emploi. Quelles discriminations as-tu rencontré dans le monde du travail ?
« Par exemple, un hôtel m’avait employée sous mes nom et prénom de garçon. Quand j’ai demandé à ce qu’on change mon prénom sur mon badge, la direction a refusé. Je suis une fille avec un prénom de garçon sur mon badge : ce n’était pas acceptable. De plus, comme je suis spa thérapeute, on m’a interdit de faire des massages, que ce soit avec des hommes ou des femmes. C’est discriminant et humiliant, car j’ai été formée, je suis une professionnelle et on m’interdit de faire mon travail en se basant sur mon genre. Je n’ai pas supporté cette humiliation et j’ai démissionné. Je rencontre fréquemment ce problème dans le milieu professionnel. Souvent, cela se passe dès l’entretien. Votre candidature est tout de suite rejetée quand on voit que vous êtes une personne trans. »
Tu es représentante des personnes trans au sein de l’instance nationale de coordination du Fonds mondial (CCM). Peux-tu nous en dire plus sur ton engagement ?
« C’est une amie qui travaille chez PILS [association membre de Coalition PLUS à Maurice, Ndlr] qui m’a fait connaître le CCM et tout le travail qui s’y fait. Elle m’a expliqué les enjeux et comment je pouvais contribuer à faire avancer les choses. Ainsi, en octobre j’ai rejoint le CCM pour essayer de résoudre les problèmes de ma communauté.
Cela m’a ouvert les yeux. Auparavant, je pensais impossible que les personnes trans puissent avoir la parole sur une plateforme comme le CCM. Il y a une reconnaissance de ma communauté et cela me motive à aller plus loin. Nous sommes là, nous existons et nous avons des droits ! Aujourd’hui, je veux me battre pour que nous ayons une place, pour que nous puissions faire entendre nos voix. »
Propos recueillis par Rachèle Bhoyroo, Responsable communication, PILS (Maurice) en février 2020. Cet entretien a été édité et condensé pour plus de clarté.