LGBTI-Phobies : Pa less nanie pase !

Le 17 mai, c’est la journée internationale contre les LGBTI-phobies. 

A cette occasion, nos communautés prennent la parole pour dénoncer les discriminations, violences et violations des droits qui les empêchent d’accéder pleinement à la santé ! 📢✊

Kelly Wayne, transgenre : «Je me bats pour que l’Etat civil mauricien reconnaisse mon changement de sexe»

Je suis Kelly Wayne, artiste peintre. J’ai fait carrière à Maurice avant de tout quitter pour m’installer en France en 2013.

Depuis mes six ans, je savais que j’étais différente. Je n’étais pas dans le bon corps. J’ai la chance d’avoir un frère jumeau, mon confident, mon meilleur ami. Je lui en ai parlé. Il m’a soutenue.

Je viens d’une famille très pauvre. Ma mère nous a élevés. Femme battue, elle était le père, la mère pour ses quatre fils… Mon père ? alcoolique et violent, il n’était pas très présent, je ne l’ai plus vu après mes 16 ans. Ma mère est très religieuse, très à cheval sur les règlements. Tout était ramené à la religion, y compris mes dessins pour lequel j’ai découvert mon talent à 12 ans, en autodidacte. Je dessinais à la maison, à l’école pour les élèves en dernière année, je faisais des posters que mon frère et moi vendions dans le voisinage, des dessins animés, des mangas. Ma mère, elle, déchirait mes posters : je ne faisais pas de paysage, « ce que dieu a créé ».

C’était difficile avec ma mère, on se prenait la tête, surtout à l’adolescence, on se disputait souvent jusqu’à ce qu’un jour, à 16 ans et demi, elle m’a jetée à la porte. Je me suis réfugiée chez ma grand-mère maternelle. Elle est la première adulte à qui j’ai dit qui je suis. Mais ma tante m’a virée à cause de qui j’étais : toujours habillée en garçon mais j’étais de plus en plus féminine. J’ai dormi dans la rue jusqu’à ce qu’un homme propose de m’héberger. J’ai accepté, à une seule condition : nos relations seraient platoniques et je m’habillerais en femme 24h/24.

Deux semaines plus tard, je me suis rendue chez ma mère, habillée en femme. Tout le monde était choqué, elle en premier. Elle a refusé de m’accueillir, me traitant d’«abomination». La transphobie, je l’ai subie chez moi, avec ma mère, qui n’a eu de cesse de m’insulter depuis mes 6 ans et de me rappeler qu’elle ne m’avait «jamais désirée», que j’aurais dû «crever à la naissance».

Aujourd’hui, nos relations sont plus apaisées. C’est peut-être l’âge, et puis c’est ma mère… je ne voulais pas non plus porter de haine en moi car ce qui est toxique dans ma vie, je l’enlève ou je pars. Mon frère jumeau, qui est gay, m’a aussi encouragé à lui pardonner. Il était le préféré, j’étais la bête noire. S’il avait été hétéro, ma mère ne m’aurait pas acceptée. Pour mon frère, elle disait : «Au moins, tu es resté comme dieu t’a fait, pas comme l’autre-là qui doit s’afficher.»

En 2004, lors du vernissage d’une expo que j’ai faite dans un hôtel de la capitale où ce genre d’événement n’était pas encore habituel, il lui a glissé un livre, destiné aux parents qui découvrent l’homosexualité de leur fils. Elle a changé depuis. J’ai pardonné à ma mère, on peut se voir, discuter, rire, mais je ne peux pas oublier. Ce qu’elle a brisé en moi, je ne peux pas le reconstruire.

Ma grand-mère maternelle était très importante dans ma vie, elle était mon pilier, elle avait une force, me motivate, elle me portait un amour inconditionnel. Elle m’aimait pour ce que je suis, avec mes défauts, mes qualités, elle m’a donné une force extraordinaire. On papotait de tout, de rien, des fois je campais dans sa chambre. Elle est morte en 2004. C’est très dur de vivre sans elle, c’est être comme un bateau à la dérive, sans gouvernail.

Ma grand-mère m’a beaucoup manqué quand j’ai enfin pu réaliser mon rêve il y a dix ans, achever ma transition. Je croyais qu’une fois l’opération en France terminée, je rencontrerais quelqu’un, j’aurais une «vie normale». Aujourd’hui, je ne crois pas au mariage. Il faut vivre les choses telles qu’elles viennent, sans se prendre la tête. Et puis, la vie te réserve toujours des surprises.

Aucun de mes frères ne m’a rejetée. On ne se parle pas tous les jours, sauf mon jumeau, mais on est très liés. En même temps, les circonstances que nous avons vécues ont forgé nos liens. Avec mon jumeau, on est presque fusionnel. Il est en France aussi. Pour ce qui est du reste de la famille, je parle à celles et ceux qui me parlent, les autres je m’en fous.

Quand ta famille est derrière toi, avec toi, tu n’as besoin de personne d’autre, tu n’as pas à te prendre la tête avec ce que les gens disent sur toi. Je pense qu’à Maurice, les choses ont quand même évolué depuis les années 1990 et mes 16 ans, quand il nous fallait nous cacher, trouver des excuses pour sortir.

Quand j’étais à Maurice, j’étais dans les journaux à cause de mon travail d’artiste peintre, je n’ai pas ressenti l’homophobie ou la transphobie mais je sais que mon cas n’est pas une généralité. J’ai pu vivre en vendant mes tableaux, ou en faisant des petits boulots quand je devais préparer une nouvelle exposition. Il y a bien eu des regards de travers, des murmures sur mon passage mais on ne m’a pas insultée, ni violentée, ni jeté la pierre. Une fois, on m’a refusé l’accès à une boîte de nuit, officiellement pas parce que je suis une femme transgenre, on parle à mots couverts : «Soirée complète». Cela a été vite réglé : j’ai rencontré le directeur au hasard d’un autre rendez-vous, il s’est excusé et la semaine suivante, il m’accueillait en personne.

À Maurice, je suis sûre que beaucoup de personnes trans ne connaissent pas leurs droits, comme moi il y a longtemps, elles naviguent encore à vue. Je me suis débrouillée seule, il n’y avait pas l’internet comme maintenant. Et puis j’ai eu la chance de profiter de la solidarité de la communauté trans, on m’a donné des conseils.

Être gay, lesbienne, c’est beaucoup plus normalisé. Mais les gens sont encore choqués par les personnes trans. Si on avait le choix, on aurait choisi une vie plus simple… car pour être soi, tu te mets tout le monde à dos, cette souffrance est tellement horrible, t’en as marre, marre de tout… Je comprends ces jeunes qui font des tentatives de suicide, je l’ai fait aussi, plus d’une fois. Déjà à l’époque, certaines d’entre nous se prostituaient. Beaucoup les jugent, sans savoir ce qu’elles doivent faire pour survivre.

Je suis une femme, oui, très, très à l’aise avec qui je suis. Je sais qui je suis, ce que je veux, je suis en accord avec moi-même. J’estime que l’amour n’a ni sexe, ni âge, ni orientation sexuelle. Tant qu’il s’agit d’adultes majeurs-es et consentants-es.

Ma transition est terminée depuis dix ans. Cela fait dix ans que je me bats pour que l’Etat civil mauricien reconnaisse mon changement de sexe. J’espère vraiment que mon combat puisse aider les autres, les jeunes. Je sais, pour l’avoir vécu, comme c’est frustrant de toujours devoir se justifier, de raconter sa vie à chaque fois, de subir des questions embarrassantes, les regards de haut en bas… C’est une violation du droit à la vie privée.

Cela fait près de dix ans que la législation mauricienne me pénalise. J’ai le certificat médical qui atteste de mon opération, j’ai tout soumis pour que la mention du sexe sur mon passeport (renouvelé avant l’pération) soit changée. J’ai avancé seule, personne ne m’a conseillée ni indiqué la marche à suivre. J’ai saisi l’Etat civil, en pensant que la procédure était simple : ma demande de changement de nom s’était faite sans problème quelques années auparavant. La posture officielle : on ne peut pas refuser votre requête mais on va faire ce qu’il faut. On m’a demandé document sur document au fil des années, que j’ai fournis, en pensant que cela avançait positivement, car je ne recevais pas de réponse qui indiquait le contraire.

Finalement, en 2020, j’ai donné un coup d’accélérateur durant la crise sanitaire à ces démarches administratives. Mais je n’ai pas pu renouveler mon passeport à cause des blocages au niveau de l’Etat civil. Je peux demander l’asile en France, d’autres compatriotes de la communauté LGBTQIA+ l’ont fait. Mais ce n’est pas une voie que je veux adopter : je n’ai pas été persécutée dans mon pays. Je ne veux pas prendre le statut de réfugiée : je suis en France depuis dix ans, j’ai un parcours, comment le pourrais-je ?

Et puis, si j’accepte, qu’est-ce qui changera à Maurice ? Pourquoi devrais-je renoncer à remettre les pieds dans mon pays où j’ai construit ma carrière d’artiste peintre ? Ce combat, je ne le mène pas seulement pour moi mais aussi pour l