Drogues : le modèle portugais adapté à Maurice
Le « Drug Users Administrative Panel » (DUAP) devrait être une réalité à Maurice courant 2023. Des amendements au « Dangerous Drugs Act » encadrant sa mise en place ont été votés à l’Assemblée nationale le 15 novembre 2022[1]. Ils amorcent un changement fondamental : l’usage et la possession de drogues illicites pour consommation personnelle ne seront désormais plus considérés comme des crimes entraînant de facto des poursuites en justice. À la place, il y aura un référencement vers des services de sensibilisation, de soutien, d’accompagnement et d’addictologie au cas par cas. Cette approche de l’État mauricien s’inspire du modèle de décriminalisation mis en place au Portugal.
C’est quoi, le modèle portugais de décriminalisation des drogues ?
En 2001, le Portugal a décriminalisé la possession des drogues à travers la loi 30/2000 [2]. L’usage, l’acquisition et la possession de tout type de drogue destinée à l’usage personnel deviennent des infractions administratives. Les consommateurs et consommatrices sont dorénavant traités-es comme des personnes qui nécessitent une prise en charge sociale et médicale. Les trafiquants-es de drogues sont, pour leur part, toujours considérés-es comme des criminels-les.
Toute personne prise avec une petite quantité de drogue, équivalente à moins 10 jours de consommation personnelle (par exemple, 25 grammes de cannabis, 1 gramme d’héroïne,), est convoquée devant un panel administratif appelé « commission pour la dissuasion des addictions ». Ces membres – un-e juriste ainsi que deux professionnels-les de la santé – décident des mesures à prendre selon le niveau de risque de la personne.
Comment fonctionne la commission pour la dissuasion des addictions
Le comité peut décider
- de fermer le dossier sans aucune pénalité,
- d’imposer une amende,
- de référer les personnes vers des services de réduction des risques et de traitement spécialisé, sans aucune obligation,
- d’un référencement vers le counseling et d’autres services de soutien, toujours sans aucune obligation.
Ces commissions, mises en place dans chaque district du Portugal, assurent que les personnes ont accès aux services de santé sans stigmatisation, et encouragent la réduction des risques et le traitement si nécessaire. Les substances sont confisquées mais dans la majorité des cas, la procédure est suspendue et il n’y a pas d’amende.
Les résultats[3]
Diagnostics de VIH/sida chez les personnes usagères de drogues[4]
- 2001 : plus de 1 000 personnes recensées
- 2013 : moins de 100 personnes dépistées
Surdoses mortelles :
- 2008 : 93
- 2013 : 22
De 2000 à 2013, le pays note une baisse de 23 % des personnes incarcérées pour des délits impliquant les drogues[5].
La décriminalisation, seul axe de l’approche portugaise ?
La décriminalisation n’est pas la légalisation. Les délits de trafic et de vente de drogues sont toujours considérés comme des crimes au Portugal.
Le Dr João Goulão, l’un des architectes de ce modèle de décriminalisation, précise qu’il ne s’agit pas seulement de mettre en place des commissions mais aussi d’investir plus largement dans la santé publique et les structures de soutien, notamment dans la prévention et le traitement.
Les points de vigilance pour Maurice
La mise sur pied du DUAP étant en cours, il est nécessaire de s’intéresser de plus près à ce qui suit, car à la base du succès du modèle portugais :
- la question du protocole de référencement et de contre-référencement qui sera établi pour l’usage personnel
- le nombre de fois qu’une personne pourra être référer vers le panel avant de faire face à des poursuites criminelles
- l’évaluation, s’il y en a, des difficultés rencontrées par les personnes référées à adhérer aux conditions établies par le DUAP
- le référencement (obligatoire ?) vers les services de soins
- le processus pour les personnes incarcérées. Au Portugal, les personnes détenues ont aussi accès aux panels et n’encourent pas de pénalités additionnelles pour la consommation de drogue.
[1] https://mauritiusassembly.govmu.org/Documents/Hansard/2022/hansard2922.pdf
[2] https://transformdrugs.org/blog/drug-decriminalisation-in-portugal-setting-the-record-straight
[3] Source : Service portugais d’intervention autour des comportements addictifs et des dépendances (SICAD)
[4] A. S. Santos & Ó. Duarte, Portugal: New Developments, Trends, National Report by the Reitox Focal Point, EMCDDA, Lisbon, 2014. Source : https://www.emcdda.europa.eu/system/files/publications/996/2014_NATIONAL_REPORT.pdf
[5] https://www.cairn.info/revue-mouvements-2016-2-page-22.htm#pa24